ParSigrid Descamps, Journaliste
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Zoé Joubert
Il suffit de quelques minutes, un éclat de rire, le tutoiement qu’elle adopte spontanément, et surtout, un discours sans langue de bois, sur la vie et son métier, pour tomber sous le charme! Née Zaho Mélusine Le Moniès de Sagazan, d’un papa artiste et d’une maman institutrice, la Nazairienne s’est d’abord fait connaître sur les réseaux sociaux où, autodidacte passionnée, elle partageait ses compositions. Sa voix grave, ses textes poétiques et mélancoliques abordant l’amour, la solitude, le doute… séduisent et progressivement, se crée une vaste communauté de fans. De quoi attirer l’attention des festivals, qui, en 2022, la programment alors qu’elle n’a pas encore d’album. Il arrivera en mars 2023: La symphonie des éclairs, mêlant musique électro et textes introspectifs, est salué par les critiques et l’impose comme l’artiste à suivre.
Un an et demi, quatre Victoires de la musique, quelques concerts et collaborations plus tard, Zaho est devenue la chanteuse que tout le monde s’arrache. Ce qui l’explique? Son talent, assurément. Sa singularité, certainement. Et une sincérité qui détonne: elle déballe ses doutes, ses rêves, sa fragilité, avec franchise et souvent, un brin d’humour. On passe en revue avec elle quelques traits de caractère, qui la rendent si attachante.
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Elle s’est mise au piano en regardant son idole en jouer
Sur la réédition de La Symphonie des éclairs, Zaho a ajouté sept morceaux, dont un duo avec l’auteur-compositeur-interprète britannique Tom Odell. «C’est grâce à lui que je fais de la musique. Je l’ai découvert quand j’avais 13 ans. Il en avait 23 et venait de sortir son premier album. En l’écoutant, et en le regardant jouer du piano, je me suis dit: Il a l’air d’être comme moi, on dirait aussi qu’il va pleurer toutes les larmes de son corps, sauf que, lui, il le fait sur son piano tandis que moi, je le fais sur mon oreiller. Sa démarche m’a semblé bien plus intéressante que la mienne, j’ai donc décidé de faire comme lui: je me suis assise derrière un piano… (rires). C’est devenu une obsession. Cela fait dix ans qu’il est l’artiste que j’écoute le plus. C’est quelqu’un d’important dans ma vie. Depuis mes 13 ans, j’étais intimement convaincue que je chanterai un jour avec lui. Et c’est arrivé – peut-être aussi un peu parce que j’y ai autant cru! –, et bien plus vite que je ne le pensais. J’ai eu la chance de le rencontrer l’an passé, tout s’est passé naturellement entre nous. On s’est parlé, il est tombé amoureux de mon travail et on a décidé d’écrire cette chanson ensemble. Bon, en réalité, j’avais déjà écrit ma partie, il y a deux ans, en pensant à lui, sans l’avoir jamais rencontré; c’était une déclaration d’amour à quelqu’un qui me faisait du bien, qui m’inspirait. Jamais je n’aurais imaginé qu’il aurait un jour vent de ma petite existence et qu’il poserait sa voix derrière la mienne. C’est dingue!»
Elle aborde ses chansons comme des équations
Quand on évoque la précision de ses mots et de ses textes, elle sourit: «J’aime les mots. J’ai pris conscience très tôt de leur pouvoir via les chansons que j’écoutais. En même temps, mon cerveau travaille de manière extrêmement logique. J’adore résoudre des équations par exemple. Pour moi, les chansons, c’est de la poésie et… des maths. Je les écris donc comme on résout des équations. Quand je cherche un mot, il y en a quatre qui me viennent… Chacun pourrait entrer dans l’histoire et pourtant, je sens quand je n’ai pas le bon mot. Alors, je cherche, je change, j’essaie… et au bout d’un moment, hop, je trouve la pièce manquante, ce mot avec ce «je-ne-sais-quoi», qui fait que c’est celui-là et pas un autre. Je pense toujours très logiquement quand j’écris une chanson. Chaque musicien a sa manière de faire. La mienne est clairement très mathématique… Il y a comme un truc qui se matérialise dans mon cerveau!»
Elle voit des maths partout
Poursuivant dans cette veine, elle nous affirme sa passion pour les mathématiques: «Tout est lié, tout est mathématique, tout est musique. Si comme moi, vous aimez les mathématiques et la poésie, et la philosophie, je vous conseille de lire Fragments de mathématiques existentielles de Laurent Derobert. Cela parle de philosophie et de sociologie avec des formules d’algèbre, des équations. C’est un livre que je trouve merveilleux, qui parle de notre soi rêvé et de notre soi réel. Et il met en équation plein de trucs pour expliquer que pour être bien dans la vie, il faut que notre soi rêvé soit le plus proche possible du soi réel. Plus il y a d’espace entre les deux, plus tu es mal car il y a une dissociation qui se fait, un truc pas très agréable. Et donc sur base de cela, il y a des gens qui vont décider de reculer le soi rêvé, de réduire leurs attentes pour qu’il se rapproche du soi réel, d’autres qui vont se dire qu’ils vont travailler sur le réel pour le rapprocher du rêvé. C’est une approche très philosophique de la vie via les maths. Quand je l’ai lu, je me suis dit que oui, c’était exactement ça!»
Quand elle ne maîtrise pas un sujet, elle le chante
Si elle parlait déjà d’amour dans La Symphonie des éclairs, dans cette réédition, elle va un cran plus loin, avec deux chansons, l’une érotique (Parler d’amour), l’autre carrément sexuelle (Hab Sex). Une façon d’affirmer ses désirs et fantasmes? Elle rit: «Je ne connais rien au sexe. Pour être franche, je commence seulement à explorer ce domaine et je ne suis pas la plus douée (rires). En fait, je ne suis pas douée en communication. Et à partir du moment où je ne suis pas douée dans un domaine, j’ai besoin d’écrire une chanson dessus. En faisant cela, je me dis qu’à force, je vais arriver à quelque chose, je saurai ce que je veux… Dans ce cas-ci, parvenir à communiquer mes désirs, au lit avec mon partenaire… Je sais que les chansons comptent quelques mots crus, des petits doigts qui se baladent… qui vont choquer certaines personnes, qui se diront «Ah mais, elle se permet de dire ça». Eh bien oui, il est temps à notre époque de comprendre que les femmes aiment le sexe et qu’elles peuvent en parler ouvertement. Maintenant, je le fais de manière très différente d’un morceau à l’autre: Hab Sex est dans la pulsion, Parler d’amour est plus doux, plus sensuel… Ce qui est certain, c’est que j’aurais été incapable d’écrire ces chansons avant. J’étais trop jeune, je ne me considérais pas en tant que femme, je ne me sentais pas désirée… C’aurait été compliqué pour moi d’aborder ces thèmes alors, j’aurais eu l’impression de me travestir. Alors que maintenant je trouve que ça a du sens.»
À partir du moment où je ne suis pas douée dans un domaine, j’ai besoin d’écrire une chanson dessus. En faisant cela, je me dis qu’à force, je vais arriver à quelque chose, je saurai ce que je veux…
Elle fait valider ses chansons par… sa maman
Quand on lui demande comment elle compose ses chansons, elle explique: «Quel que soit le sujet, j’écris d’abord toujours au piano. C’est vraiment un truc que je fais seule ou… avec ma maman. Il m’arrive d’aller lui demander ce qu’elle en pense et je revois alors les mots avec elle. C’est très important pour moi que maman soit très contente de mes chansons (rires).» Un besoin qui s’explique par l’amour qui irradie toute sa famille: «Nous nous aimons tous énormément. J’ai quatre sœurs, que j’aime profondément. Une maman que j’aime plus que tout au monde et un papa que j’adore aussi. Ce sont tous des grandes personnalités, chacun, chacune dans son genre. C’est une famille très expressive, très aimante, très originale nous sommes tous très proches. Je travaille, entre autres, avec ma grande sœur Leïla K, qui est danseuse et chorégraphe. C’est elle qui m’a m’apprend à bouger sur scène. Ma sœur jumelle, Kaïta, a, elle, dessiné le clip de La symphonie des éclairs. C’est très important pour moi d’avoir l’avis de chacun.»
Elle a failli devenir infirmière
Si aujourd’hui, elle chante, Zaho a longtemps voulu évoluer dans le milieu des soins. «Ça, c’est à cause de ma grande sœur Thalie, qui est infirmière, explique-t-elle. Thalie a toujours été ma seconde maman, mon modèle… J’ai toujours beaucoup fait comme elle. Elle faisait du solfège et du piano, elle chantait… J’ai suivi. Et quand elle est devenue infirmière, j’ai voulu travailler dans l’univers du soin aussi: infirmière, psychologue ou chirurgienne, je ne savais pas ce que je voulais devenir exactement, mais je voulais soigner les gens. Et puis, la musique est arrivée…»
Elle ne travaille qu’avec ses proches
Parce qu’être entourée des gens qu’on aime est important aussi hors du cadre familial, Zaho choisit soigneusement les membres de son équipe. «J’ai la chance de bosser avec mes meilleurs copains. Je suis indépendante, j’ai monté mon label et je décide avec qui je bosse. C’est important d’être entourée de gens dont tu sais qu’ils sont capables de te dire quand tu pars en vrille, avec qui tu parles aussi beaucoup. Je suis quelqu’un qui se confie beaucoup, sur tout… donc il faut des gens de confiance autour de moi. Pour construire une carrière, il faut du talent, il faut bosser, mais il faut aussi savoir s’entourer.»
Elle n’aimait pas la mode
Lors de cérémonie d’ouverture du festival de Cannes, Zaho a fait sensation en reprenant Modern Love de David Bowie, habillée en Louis Vuitton. Se faire vêtir par les plus grandes maisons, un autre rêve? «Pas du tout, réplique-t-elle en éclatant de rire. J’ai passé ma vie à m’habiller chez Emmaüs. Je n’aimais pas mon corps, donc je le cachais. Il y a encore un an et demi, je ne connaissais rien au monde de la mode. Pour être honnête, j’ai même toujours un peu méprisé ce milieu. Je trouvais que c’était réservé aux riches. Je n’avais pas trop de considération pour ce milieu; je m’étais même dit que si on m’approchait pour proposer de m’habiller, je les enverrais balader parce que, moi, j’étais pro-Emmaüs. Bref, j’étais vraiment au niveau zéro de la relation avec la mode (rires). Ce qui est arrivé, c’est que ce n’est pas une maison qui m’a approchée, mais une personne: le directeur artistique de Louis Vuitton, Nicolas Ghesquières, m’a invitée à son défilé. Ma manageuse, qui est aussi ma meilleure copine, et moi sommes adeptes des expériences sociales et on s’est dit que ce serait marrant d’aller voir à quoi ça ressemble. Et là, eh bien, j’ai vu quelque chose de beau, de très beau même. Après quoi, j’ai longtemps discuté avec Nicolas et j’ai découvert un homme passionné, passionnant, qui m’a fait comprendre peu à peu l’intérêt de tout ça. Alors, oui, c’est un mode qui brasse énormément de thunes, mais c’est aussi, à la base, de l’art. Cela a modifié aussi ma vision des vêtements aussi. Jusque-là, pour moi, les vêtements servaient juste à cacher des choses ou à paraître. Donc, ce n’était pas intéressant pour moi, qui m’attache avant à ce qui se trouve dans la tête ou dans le cœur des gens, aux tripes qu’on met sur la table. Et j’ai compris que tu peux aussi mettre tes tripes sur la table avec ce que tu portes. Et aussi, qu’il était important de se sentir beau. Le meilleur exemple, c’est précisément la cérémonie d’ouverture de Cannes. Je n’aurais pas livré la même performance si je n’avais pas enfilé cette jupe. Pourtant, deux jours avant, je comptais encore porter un de mes pantalons! Clairement, cela n’aurait pas eu le même impact. Mettre cette jupe, ça m’a permis d’être plus libre de mes mouvements, de raconter quelque chose… J’ai compris que j’avais manqué d’intelligence par rapport à la mode. Que j’étais bloquée dans ma vision très à gauche. C’était «J’aime pas» de façon très limitée en fait (rires). Donc là, je commence à apprendre les codes, je découvre les matières… Et puis, ça m’a beaucoup permis aussi d’apprendre à m’aimer, à me trouver jolie, à me voir différemment.»
La Symphonie des éclairs, le dernier des voyages; en concert le 24 novembre 2024 à l’ING Arena à Bruxelles.
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